ZooTV Tour



HISTOIRE DU ZOO TV TOUR


Le Zoo TV Tour, tournée de promotion de l’album Achtung Baby, a été conçu dans le même esprit que l’album : rupture avec le passé et renouvellement complet.


UNE DEBAUCHE DE MOYENS TECHNIQUES



La tournée, qui débute le 29 février 1992 à Lakeland en Floride, comprendra 157 shows répartis en 5 legs : deux legs en salle, d’abord aux USA, puis en Europe, puis trois legs en stade avec une scène encore plus spectaculaire. Le leg 3, rebaptisé Outside Broadcast Tour, traversera à nouveau les USA, suivi du leg 4, (Zooropa tour) qui voit U2 revenir en Europe et enfin du leg 5, qui traversera l’Australie (Zoomerang Tour), la Nouvelle-Zélande (New Zooland) et se terminera au Japon le 10 décembre 1993 par un concert à Tokyo.

Souhaitant rompre avec son image austère, le groupe se produit sur une scène spectaculaire conçue par Willie Williams, et caractérisée par une débauche de moyens techniques : quatre murs vidéo, 36 moniteurs TV, une scène annexe reliée à la scène principale par un catwalk, six voitures Traban customisées suspendues au dessus de la scène, une boule à facettes… La scène et les écrans prendront encore de l’envergure à partir de l’Outside Broadcast Tour avec l’arrivée aux cotés de Willie Williams des designers Mark Fisher et Jonathan Park.

Les images qui défilent sur les écrans sont inspirées par l’expérience vécue par le groupe lors de leur séjour à Berlin, quand la seule chaîne en langue anglaise dont ils disposaient était Sky News, et qu’ils avaient été saturés d’images de la Guerre du Golfe, de publicités pour des voitures et de mauvais « soap-operas » allemands. Le spectacle comprendra donc une sorte de zapping géant orchestré par Bono à l’aide d’une énorme télécommande, l’idée de base étant que le spectacle n’était qu’un studio de TV géant pouvant joindre le monde entier et être joint de n’importe quelle partie du globe.

Selon les legs, on a pu également voir sur ces écrans un véritable déluge d’images, avec par exemple une série de messages publicitaires subliminaux et d’aphorismes (« Taste is the enemy of art », « Watch more TV », « Everything you know is wrong »… ), ou encore le Zoo confessionnal, cabine où les fans défilaient pour dire tout ce qui leur passait par la tête.

En fait, il n’est pas facile de faire la synthèse de ce tour en permanente évolution dont The Edge disait par exemple : « Le Zoo TV n’était pas figé, c’était un état d’esprit. Il évoluait constamment, changeait et intégrait de nouvelles idées à mesure qu’elles venaient. Nous le faisions évoluer de façon délibérée pour chaque nouvelle partie du monde ».


LA REINVENTION DE U2



Toujours dans l’idée de rompre avec le passé, Bono invente plusieurs personnages dans un esprit d’autodérision. C’est tout d’abord le personnage de « The Fly », vêtu de cuir noir et arborant de grosses lunettes noires « de mouche ». Cette transformation radicale signe la mort du jeune homme candide arborant son drapeau blanc, Bono déclarant à ce propos : « Vous ne m’aimiez pas quand j’étais moi-même, alors j’ai essayé d’inventer quelque chose de nouveau ».

Sur l’Outside Broadcast Tour, Bono se transformera également en Mirror Ball Man, sorte d’homme d’affaires américain, mélange entre JR (le méchant de la série « Dallas ») et Elvis Presley. Il constitue aussi une critique des prêcheurs américains, mis en scène à la fin de Desire avec le célèbre : « I believe in you.. I believe for… I had a vision… Television… ». A partir de Zooropa, Mirror Ball Man sera remplacé par Mac Phisto. Avec son costume rutilant, ses platform shoes, son maquillage blanc clownesque et ses cornes de diable, celui-ci constitue plutôt une synthèse entre Mac Donald’s et Méphistophélès

Mac Phisto restera célèbre pour ses coups de fils à des hommes politiques ou à des célébrités allant de Lady Diana au Pape, ou encore à des compagnies de taxi… L’idée avait germé dans l’esprit de Bono à Détroit lors du leg 1, avec la commande de 10 000 pizzas à Speedy Pizzas. La pizzeria avait quand même réussi l’exploit d’en livrer 100, que Bono avait ensuite distribuées au public, transformant ainsi le show en un gigantesque champ de bataille de frisbee-pizzas !

Quelques uns des appels de Mac Phisto sont restés célèbres : par exemple celui passé à Pavarotti où Mr Mac Phisto tomba sur le Maestro lui-même. Cet appel signa le début d’une indéfectible amitié, concrétisée quelques années plus tard par « Miss Sarajevo », interprétée par les deux hommes, la chanson de U2 préférée de Bono.

On peut aussi se souvenir d’un appel de Bono chez lui à Dublin, quand il tomba sur un message laissé sur le répondeur par sa fille Jordan, âgée alors de 4 ans : « Nous sommes parties, nous sommes en vacances ! Si c’est toi Papa, nous ne rentrerons pas à la maison tant que tu n’auras pas enlevé tes cornes ! ».

Lors de son passage en France, Mac Phisto tentera vainement de joindre Jean-Marie Le Pen, Bernard Tapie, François Mitterrand et Charles Pasqua. A Wembley, Il invitera également sur scène Salman Rushdie. Celui-ci vivait caché depuis 1989 suite à la fatwa lancée contre lui lors de la publication de son livre : « Les versets sataniques ». Rushdie déclarera à Mac Phisto : « Les véritables diables ne portent pas de cornes ».

Pendant l’ensemble de la tournée, nombreux seront ceux et celles à partager quelques instants sur scène avec le groupe : que ce soit par exemple Björn et Benny du groupe Abba pour une version spéciale de « Dancing Queen » à Stockhom, ou encore les fans invitées par Bono sur scène lors de « Trying to Throw Your Arms Around the World » séquence ultra-sensuelle entre slows langoureux, douches de champagne et vidéos très délurées. Sensualité encore avec la présence d’une danseuse du ventre sur « Mysterious ways », prestation assurée à partir de l’ « Outside Broadcast Tour » par Morleigh Steinberg, future épouse de The Edge.

Bono cherchera également à rendre le show le plus interactif possible en alternant fausses-interviews, zapping, faux-duos (par exemple avec Lou Reed sur « Satellite of Love »), et images diverses venues des quatre coins du monde. Parmi les séquences les plus fameuses, on retiendra les directs réalisés depuis Sarajevo grâce à l’entremise de l’humanitaire Bill Carter. Très marqué par cette guerre qui se déroulait à moins de 2000 kilomètres de leurs shows européens, Bono avait souhaité se rendre en personne à Sarajevo, idée abandonnée car trop risquée. Finalement, il fût décidé d’organiser une liaison satellite en direct de Yougoslavie, au cours desquelles les habitants de Sarajevo pouvaient tenter de sensibiliser le monde à leur sort. Cette séquence, initiée au concert de Bologne le 17 juillet 1993, eut lieu en tout dix fois, jusqu’à ce que la situation en Yougoslavie soit reprise dans les médias britanniques. Il était plutôt risqué d’interrompre un rock show avec ce drame, et de montrer par exemple une femme déclarant : « Nous savons que vous n’allez rien faire pour nous. Vous allez retourner à votre rock show. Vous allez oublier jusqu’à notre existence. Et nous allons tous mourir ». Larry Mullen déclara que ça faisait l’effet d’un seau d’eau froide lancé sur la foule, mais aussi qu’il était fier de faire partie d’un groupe qui avait essayé de faire quelque chose.

U2 s’était également engagé à jouer à Sarajevo, promesse tenue en 1997 lors du Popmart Tour.

L’exemple de la Yougoslavie montre que si U2 a souhaité introduire massivement l’ironie et l’auto-dérision au sein de leurs shows, ils conservent tout leur sérieux à propos de leurs engagements humanitaires et politiques. On le voit encore avec leur soutien affirmé à Bill Clinton, alors en pleine campagne électorale pendant l’Outside Broadcast Tour. Soutien auquel son adversaire de l’époque Georges H. W. Bush répondra de façon particulièrement cinglante : « La prochaine fois qu’on affrontera une crise de politique étrangère, je travaillerai avec John Major et Boris Eltsine, et Bill Clinton pourra consulter Boy Georges ».




LA MUSIQUE A L’HONNEUR



Et la musique dans tout ça ? Le Zoo TV fait évidemment la part belle à l’album Achtung Baby, dont six à huit titres sont systématiquement placés en ouverture du show. On se souvient d’une série d’images mythiques : « Zoo Station » et l’inoubliable entrée sur scène de Bono sautillant devant des écrans bleutés, « The Fly » et son défilé d’aphorismes, « Even Better Than the Real Thing » et ses images du monde entier, Mysterious Ways et sa danseuse du ventre, One et les célèbres images de bisons tombant d’une falaises, « Until the End of the World » et Bono dirigeant la caméra vers ses parties intimes, « Trying to Throw Your Arms Around the World » et Bono avançant sur le catwalk une bouteille de champagne cachée dans le dos…

La seconde partie du show se déroule sur scène annexe, et le groupe se plaît à jouer en acoustique des titres comme « Angel of Harlem », « When Love Comes to Town », ou « Satellite of Love » avant de réintégrer la scène principale pour des titres comme « Bad », Bullet the Blue Sky », « Running to Stand Still » ou encore l’incontournable « Where the Streets Have No Name », souvent suivi pour le rappel par “Ultraviolet” ou “With Or Without You”. Le show se termine fréquemment par « Love is blindness », suivi d’une interprétation de la chanson d’Elvis Presley « Can’t Help Falling in Love », le public reprenant « With you » avec une ferveur rare.

Le contenu de la setlist a également été fortement influencé par la sortie en plein milieu de la tournée de l’album « Zooropa », dont certains titres ont été progressivement incorporés dans le show. C’est entre l’Outside Broadcast Tour et le Zooropa Tour que U2 a enregistré ce nouvel album, prévu au départ pour être un complément de quatre titres à Achtung Baby, et évoluant au fil du temps en un album à part entière de dix titres. Album enregistré en grande partie dans des conditions de folie puisque pendant le premier mois du leg Zooropa, le groupe a dû mener de front la fin de l’album en studio et les concerts dans diverses villes d’Europe. Sorti le 5 juillet 1993, l’album a permis au groupe d’enrichir la setlist avec des titres comme « Numb », « Stay », Daddy’s Gonna Pay For Your Crashed Car » ou « Lemon ».

Le Zoo Tv Tour reste dans toutes les mémoires notamment grâce à un enregistrement vidéo réalisé à Sydney peu de temps avant la fin de la tournée. Enregistrement marqué par le fait qu’au départ, il avait été prévu d’enregistrer les shows des 26 et 27 novembre 1993 mais que le soir du 26, Adam Clayton n’était en mesure de jouer, victime d’un abus d’alcool. C’est le technicien Stuart Morgan qui le remplacera pour ce qui reste encore à ce jour le seul concert de U2 lors duquel un des membres du groupe était absent. De son coté, Adam Clayton avait récupéré pour le concert du lendemain qui a été enregistré et utilisé pour la vidéo officielle du tour.

Au final, le bilan du Zoo TV Tour est tout à fait étrange : malgré un succès sans égal avec 5,3 millions de spectateurs, le groupe n’est pas passé loin de la faillite en raison du coût astronomique du projet. D’après Paul Mac Guinness, manager du groupe, « seule la vente de T-shirts pour 30 millions de dollars les a sauvés de la ruine ». Bono de son coté à déclaré : « Quand nous avons conçu le Zoo TV, nous étions si proches de la banqueroute que si nous avions eu seulement 5% de spectateurs en moins, c’était fini pour nous. Et même avec le mépris irresponsable, juvénile et fatal que nous éprouvions pour toutes ces questions matérielles, c’était terrifiant ».

Quoi qu’il en soit, ce tour restera de toute façon inoubliable car il représente sans doute un sommet pour le groupe en matière d’énergie et de créativité, un tournant admirablement négocié vers la fantaisie et la sensualité avec une humanité et un engagement restés intacts.